Revue de presse

Les Tablettes des Chanteroels
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Situationniste

Libres Nouvelles d’Alsace (16 Juillet 2004)

Durant la période estivale, Sarah Bonnwitz dont on connaît la plume acérée, nous fait part de son point de vue éclairé sur les questions locales.

De la misère…

Depuis quelques années, en raison de la découverte archéographique majeure qui y a été faite – des tablettes d’écritures qui, pour l’heure, restent plus que jamais indéchiffrables – le chantier de fouilles  » Les Chanteroels » ne cesse de faire l’objet de visites continues. Savants, mais aussi touristes et curieux débarquent en bus des quatre coins de la planète. Se bousculant sur les lieux où les tablettes ne se trouvent déjà plus (à l’abri d’une bâche tendue en chapiteau à plus de dix mètres du sol, elles ont été remplacées par des fac-similés savamment mis en évidence dans des tranchées de terre), ils repartent, qui avec un T-shirt barbouillé d’énigmatiques hiéroglyphes, qui avec une reproduction d’un fragment de tablette reconstitué en plâtre, qui avec un paysage du chantier sous la neige, ou encore… quelques bonnes bouteilles de Kirsch et autres Framboise Sauvage, spécialités séculaires de la vallée. Les responsables locaux, syndicat d’initiative en tête, qui ont soutenu l’idée de visites guidées, de conférences, et même d’un spectacle son et lumière, se frottent les mains. Depuis quelque temps, en effet, chambres d’hôtes et boutiques de souvenirs fleurissent au coin des rues des pittoresques villages de la vallée. Des investisseurs auraient pour projet de construire un hôtel de standing…

Les autorités culturelles régionales, les responsables politiques, et quelques têtes bien remplies à défaut d’être toujours bien faites, ont également soutenu auprès de l’UNESCO la demande d’un classement au patrimoine mondial de l’humanité.

Or, voici que depuis quelques mois, le bruit jamais démenti d’un canular de potache projet-terait une ombre de mauvais aloi sur la planète des bonnes affaires. D’aucuns, mais ils ne sont pas d’ici il est vrai, et sûrement plus préoccupés de querelles de chapelles que de réalités scientifiques, prétendent que lesdites tablettes seraient fausses. Pires, elles auraient été faites à l’arrache par un illustre inconnu, artiste à ses heures, graveur sur pierres funéraires de son métier et, qui l’eut cru, grand buveur de Schnaps de son état. La scène se passe un soir de juin, dans une «Winstub» strasbourgeoise connue pour la fréquentation bruyante, voire tapageuse, de quelques célébrités locales portées sur l’Edel-zwicker.

Ex-situationniste non repenti (côté bouteille), notre homme en ribaude ce soir-là, aurait craché le morceau en même temps que quelques reliefs non digérés de son copieux repas (une choucroute très arrosée) devant les journalistes de la presse parisienne. C’est du moins ce que l’on peut lire sur la question dans certains hebdomadaires très éclairés de la capitale. Gageons que ces braves gens n’ont jamais vu le chantier…

Pour la petite histoire…

C’est en effet à Strasbourg qu’en 1967, paraphrasant les titres des pamphlets qui avaient en leur temps opposé les thèses anarchistes de Proudhon à celles de Marx, père du matérialisme dialectique, (Misère de la Philosophie pour le premier, Philosophie de la Misère pour le second) que les situationnistes s’illustrèrent spectaculairement pour la première fois en publiant un tract devenu culte depuis : De la misère en milieu étudiant… La suite, on la connaît ; mai 68 éclata un an plus tard.

Dans le petit nombre des choses qui m’ont plu, et que j’ai su bien faire, ce qu’assurément j’ai su faire le mieux, c’est boire. Quoique ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. (Guy Debord)