Revue de presse

Les Tablettes des Chanteroels
La Roue de Duchamp

La Roue de Duchamp

Le Petit Ecrivant Illustré, N°98, Mai 2004.

La Roue

Dans un numéro précédent, nous avions évoqué l’idée que l’animal domestique (le bœuf), l’objet utilitaire (un téléphone portable), ou encore le concept d’utilité (la communication), constituaient les matériaux de base dont la représentation graphique stylisée conduit depuis des siècles au langage écrit: idéogramme ou phonogramme. La caractéristique commune à tous ces éléments est qu’il s’agit d’outils répondant aux nécessités quotidiennes d’une époque donnée. Dans son évolution, le langage est la projection naturelle et ponctuelle d’un moment de l’histoire humaine. Dans le cadre qui nous occupe ici, pour faciliter la correspondance entre passé lointain et présent, pour établir un pont entre stéréotype et archétype, il aurait peut-être été pertinent de choisir un ustensile lié à la vie quotidienne, un utilitaire symbolisant à la fois le mouvement et la communication, une « chose » susceptible d’être achetée aujourd’hui dans n’importe quelle quincaillerie ou supermarché, un objet qui, au contraire du téléphone portable ou de l’ordinateur, se trouvait déjà chez le charron ou le forgeron depuis la nuit des temps : une roue. (Par le professeur Fostrül, Auteur de l’ incontournable « Enkuklio » en sept volumes).

L’art est devenu contemporain à partir du moment où il a commencé à nous parler de notre vie quotidienne. (Catherine Millet)

De la chose au mot…

Au-delà des territoires et des nations, au-delà de l’espace et du temps, ce que le symbole de la roue contient de signification au niveau de l’archétype qu’il est devenu, sous- tend les mêmes potentialités de valeurs et de formes que le stéréotype qu’il était au temps de Babylone. D’autres objets de notre vie quotidienne actuelle possèdent cette caractéristique de préservation et de transmission, mais ils ne sont pas si nombreux. Un bol, par exemple. Dans la mesure où les stéréotypes de la vie quotidienne participent des données incontournables de la formation des lettres et des idéogrammes, il serait aisément concevable d’envisager la création d’un idéogramme issu de l’objet roue pour signifier le concept de « mouvement ». Dans le même esprit, il serait tout aussi réaliste d’imaginer le phonogramme r, premier son que l’on perçoit dans le mot roue, ou, de façon plus indirecte et sophistiquée, le phonogramme m, premier son que l’on entende dans le mot « mouvement », etc. (D’après R.Mutt – Hors Duchamp de l’art – Ed. Art-Chaos)

Les objets

D’après R.Mutt – Hors Duchamp de l’art – Ed. Art-Chaos . Si une roue était un objet, elle serait sûrement un disque pouvant tourner dans le but de permettre à un véhicule de rouler (bicyclette, voiture, camion….). Dans un assemblage mécanique, un tel objet pourrait par exemple être le disque rigide qui tourne sur son axe ( roue dentée, roue à godets…).Elle pourrait encore être un supplice consistant à attacher un condamné pour lui rompre tous les membres. En réalité, si une roue était vraiment une roue, alors cela se saurait et, en ce cas, un chat serait aussi un chat. Or, il n’en est rien.

La destinée occulte de l’art contemporain a été d’initier les formes émergentes du langage par la mise en bascule des objets, des matériaux et des idées issus de notre environnement quotidien.(James Brayes)

Stéréotype. En linguistique, il s’agit d’un objet dénommé à un moment donné.

Archétype. Si l’on s’en tient à la définition qu’en donnait le philosophe K. G. Jung, il s’agirait d’un symbole primitif contenu dans l’inconscient collectif. Celui-ci se diffuserait et se perpétuerait de façon rémanente dans l’imaginaire d’un individu et les productions culturelles d’un peuple. Mais Jung était psychanalyste, et donc fortement attaché aux symboles et à leurs significations. Dès lors, cette définition devient quelque peu caduque, car dans le cadre du langage pur nous sommes dans le domaine du signe, qui est l’une des projections du monde contemporain, et non dans celui du symbole, cher à la pratique de la psychanalyse et aux métaphores du Moyen Age… Aussi, nous prolongerons la définition qu’en faisait K.G. Jung et adopterons l’acception que les archétypes sont, au bout du compte, des stéréotypes archaïques sélectionnés par l’histoire des hommes (donc des objets dénommés certes, à un moment donné, mais lors de temps anciens) et pour ainsi dire fossilisés à l’aune des évolutions techniques et intellectuelles que ces mêmes êtres humains ont enfantées.